PREVENTION EN PERINATALITE
Etude comparative interculturelle de l’attente des femmes et des hommes d’aujourd’hui en période périnatale, au regard de la démarche préventive « d’éducation à la parentalité »
GROUPE DE RECHERCHE PERINATALITE
(Resp. Claude SCHAUDER)
Unité de recherche en Psychologie : Subjectivité, Connaissances et Lien Social
Equipe d’Accueil 3071
Université de Strasbourg
Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education
12 rue Goethe 67000. Strasbourg
CONTEXTE
a)Les recherches
Le lien entre l’apparition d’un grand nombre de perturbations et de pathologies de l’enfant et les modalités de son accueil et de sa prise en charge précoce par ses parents (ou les adultes qui en tiennent lieu), est depuis de nombreuses années bien repéré (Dolto, 1984 ; 1985 ; Lebovici, 1983; 1985; Marcelli, 1999 ; Houzel, 2003) . On sait en effet aujourd’hui que dès la naissance, puis tout au long de l’enfance et de l’adolescence, c’est par des perturbations des différentes fonctions subjectives et/ou familiales et des troubles du développement ou des comportements que s’expriment les souffrances dues aux ratés des rencontres entre les enfants et leurs parents. De l’anorexie du nourrisson (Kreisler, Fain, Soulé,1974) à l’obésité de l’adolescent (Bruch,1969 ; Kestemberg, Kestemberg, Decobert,1972), des pathologies dites psychosomatiques qui ne font que « passer » à celles qui s’installent durablement et parfois se chronicisent (Gauthier et coll.,1976 ; Kreisler, 1981, Dolto,1984), des états anxieux ou dépressifs mal identifiés (Toolan.,1962 ; Dugas, Mouren, 1980), aux manifestations comportementales qui inquiètent tant notre société (Neyran, 2006), la question de l’évolution de l’enfant et de sa santé (au sens le plus large) est désormais considérée par les praticiens, quelles que soient leurs références épistémologiques, comme intimement liée à celle de ses toutes premières relations avec son environnement proche.Soucieux d’intervenir le plus tôt possible avant que ne s’installent les troubles puis les pathologies qui s’en suivent, des professionnels des secteurs sanitaires et sociaux (Carel., 1977 ; Cramer, Palacio-Espasa, 1993) ont mis en place (ou envisagent de mettre en place) dès la période périnatale, diverses actions de prévention prenant en compte le rôle des relations précoces du nouveau né avec son entourage.
Ces initiatives sont le fruit des rencontres de très nombreux travaux menés dans les divers champs de la clinique et de la recherche médicale et psychologique depuis une cinquantaine d’années. Certains d’entre eux, les plus anciens, visaient à réduire le taux de mortalité, de prématurité et de manière générale la morbidité périnatale et les conséquences psychopathologiques qui pouvaient en résulter aussi bien pour la mère que pour l’enfant. (Klauss et Kennel, 1976 ; Kestemberg et al., 1977 ; Le Vaguerèse (dir), 1983). D’autres, faisant suite aux travaux sur l’ « accouchement sans douleurs » (Read, 1953 ; Lamaze, 1956) portaient sur les modalités d’accompagnement, d’accouchement et d’accueil des nouveaux-nés. (Leboyer, 1974 ; Herbinet (dir), 1978; Dufoyer et al.1980 ; Dugnat, 1996) Des travaux portant sur les conséquences pathogènes de certaines pratiques professionnelles (Gillot de Vries et al., 1983 ; Herbinet (dir), 1978 ; Le Vaguerèse (dir), 1983 ; Molénat, 2001) les suivirent. D’autres encore concernent plus spécifiquement le rôle que jouent l’environnement parental et les modalités relationnelles et éducatives précoces dans l’étiologie des troubles du développement psycho-affectif, des troubles du comportement et de l’évolution des enfants et des adolescents. (Dolto, 1981 ; 1984 ; Lebovici ,1985 ; Marcelli, 1999).
Ces travaux ont justifié dès les années 50 (Caplan, 1951) des expériences de suivis psychothérapiques des mères dont la souffrance est avérée (Wolkind, 1981) puis de psychothérapies mère-nourrisson (Lebovici, 1983 ; Stoléru et Moralès-Huet, 1989 ; Mathelin, 1998) puis toutes sortes de prises en charge impliquant également le père (Dugnat, 1996 ; Dugnat, 2004)
D’autres travaux se sont intéressés au dépistage des parents ou des familles considérés comme « fragiles » (Carel, 1977 ; Soulé et al. 1985 ; OCDE, 1998). Aux « grilles de risques » initialement utilisées par les tenants de ce type de démarche, jugées éthiquement discutables, scientifiquement trop peu fiables et possiblement inductrices d’effets stigmatisants ou paradoxaux, sont substitués des protocoles comprenant l’organisation systématique (ou non) de rencontres susceptibles d’ouvrir un espace de parole pour permettre aux parents d’aborder des problèmes personnels, de dire leur mal-être ou de parler de souffrances risquant d’hypothéquer l’établissement de liens sécurisants et structurants avec le bébé attendu (Molénat, 2004) . Elles permettent le cas échéant l’orientation des femmes (ou des couples) concerné(e)s vers des spécialistes. D’autres approches enfin privilégient la transmission de savoirs ou de savoir-faire supposés pallier les éventuelles carences ou défaillances parentales risquant de rendre problématique l’installation de relations positives et saines avec le bébé à venir. Elles sont désormais reconnues comme « éducation à la parentalité ». (Neyrand, 2000 ; Neyrand et al., 2006)
Emblématique de ce courant, le « best seller » « J’attends un enfant » de Laurence Pernoud, dont la première version date de 1955, est actualisé tous les ans (Pernoud, 2007) et fait toujours référence. Dans une perspective analogue de diffusion de connaissances (vérifiées ou supposées), sont organisés en milieu hospitalier ou « en ville », des stages ou des séances de formation à la parentalité, souvent encouragés ou soutenus par les instances officielles, collectivités territoriales, CAF et les associations actives sur ce terrain par l’intermédiaire des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP).
b)Le Plan Périnatalité 2005-2007 et la PNP
En France le Plan Périnatalité 2005-2007, met en place une politique de prévention des dysfonctionnements des relations précoces parents-enfant pour qui « Le bon déroulement de la grossesse et le bien-être de l’enfant reposent sur un suivi médical complété par une préparation à la naissance et à la parentalité (PNP) structurée, dont l’objectif est de contribuer à l’amélioration de l’état de santé global des femmes enceintes, des accouchées et des nouveau-nés. » (HAS, 2005b, p.13). Ce texte précise que l’épanouissement d’une « parentalité réussie » doit être soutenu par des informations et des échanges d’expériences relatives aux besoins et aux exigences d’un jeune enfant, à la construction du lien d’attachement, aux pleurs du bébé, en particulier quand leurs causes sont incomprises, etc. (HAS, 2005a, p.14) et qu’un « soutien de qualité le plus précoce possible pendant la grossesse et après la naissance constitue un facteur de prévention de maltraitance et de psychopathologie infantile et adolescente » (HAS, 2005a, p. 18)Ce plan veut, entre autre:
- « ….préparer le couple à la naissance et à l’accueil de son enfant au moyen de séances éducatives adaptées aux besoins et aux attentes de chaque femme et futur père ;
- repérer précocement les difficultés du couple ;
- soutenir la parentalité par des informations et des repères sur la construction des liens familiaux et sur les moyens matériels, éducatifs et affectifs qui permettent à l’enfant de grandir…» (HAS, 2005a, p.3).
PROBLEMATIQUE
Les travaux relatifs à l’efficacité des actions préventives menées dans ce domaine (ENSP Nancy, 1997) ont largement démontré que leurs chances de succès dépendent avant tout de leur adéquation aux besoins et aux attentes des usagers supposés en bénéficier ainsi que de la pertinence des méthodes choisies pour y répondre.Si les besoins, les préoccupations et les attentes des professionnels sont désormais mieux connus (Molenat, 2001 ; Giampino, 2006), nos travaux (Schauder, 1989 ; Willerval-Chevalérias, 1999 ; Spiess, 2001; 2002), de même que ceux que retiennent les Recommandations pour la pratique clinique de la PNP de la HAS pour encourager de nouvelles recherches sur ce thème (Renkert et Nutbeam, 2001 ; Nolan, 1997), ont paradoxalement tous mis en évidence que les attentes et les besoins des femmes enceintes ou venant d’accoucher, comme ceux de leurs compagnons, ont été peu explorés et sont donc très mal connus. On ignore de même quelle peut être l’efficacité des préparations et de l’éducation à la parentalité. (Gagnon, 2004)
OBJET DE L’ETUDE
Notre étude vise à éclairer et à approfondir ce que peuvent être, durant la période périnatale, les attentes des femmes et des hommes quant au devenir parent et à la construction de leurs liens à l’enfant. Elle analysera quels sont les déterminants psychologiques, médicaux, sociaux, sociétaux, culturels, historiques et économiques de ces attentes, sachant que celles-ci peuvent être fortement différenciées suivant les niveaux sociaux, économiques et les appartenances culturelles des familles.Cette étude a également pour objectif de préciser en quoi la réponse à ces attentes relève,
- d’une modification des conditions de vie : économiques, sanitaires et/ou sociales,
- d’une intervention professionnelle : suivi médical, social, psychologique ou éducatif,
- de modalités d’élaboration individuelles et personnelles propres à chacun et trouvant leurs sources dans la donne et les repères fournis par les transmissions familiales et culturelles.
Ce projet s’inscrit aussi dans la suite logique de la collaboration internationale que notre Unité de recherche mène depuis plusieurs années avec des équipes brésiliennes, canadiennes et italiennes, également intéressées par ces problématiques.
Les résultats attendus peuvent être situés à deux niveaux :
niveau théorique:
qui vise à compléter et à réactualiser les connaissances dont nous disposons sur :- le travail psychique singulier que nécessite, aussi bien chez la mère que chez le père, durant la période périnatale, le « devenir parent » et la construction du lien à l’enfant,
- les conséquences somatiques et psychopathologiques liées aux « ratés » de ce travail.
niveau opérationnel:
un niveau opérationnel qui vise- à améliorer les outils de diagnostic des problèmes rencontrés par les parents durant cette période,
- à optimiser, ce faisant, la prise en charge de ces problèmes,
- à faire des propositions pour assurer le cas échéant une prévention précoce plus efficace.
METHODOLOGIE
Pour atteindre notre objectif, c’est à dire, éclairer et approfondir ce que peuvent être les attentes des femmes et des hommes durant la période périnatale et mieux en connaître les déterminants psychologiques, médicaux, sociaux, sociétaux, culturels, historiques et économiques, cette étude se déroulera sur deux axes .Axes de recherches
1.Le premier, dit diachronique
doit permettre de prendre en compte l’incontournable dimension du temps et de ses effets sur le sujet. En effet les processus de subjectivation, comme ceux susceptibles de modifier celle-ci, sont des processus inscrits dans le temps, comme l’ont montré tous les travaux sur le développement de l’enfant mais aussi ceux qui affectent le devenir de l’adulte, en particulier lors de crises importantes comme celle du devenir parent (cf. par ex. travaux sur la clinique de la dépression du post-partum ou de la psychose puerpérale). Ce premier axe permet d’approcher la dimension individuelle, singulière liée à la construction subjective partie prenante de l’être parent dans son ancrage historique. C’est pourquoi nous nous intéresserons à l’évolution des attentes et des représentations des femmes et des hommes concernés de manière longitudinale- pendant le temps d’attente de l’enfant, la relation parentale étant alors à comprendre dans le cadre imaginaire. Nous réaliserons des entretiens
- en début de grossesse (moins de 12 semaines, délai légal en France de l’avortement),
- au milieu de la grossesse (entre 4 et 6 mois période des échographies et examens anténataux de « normalité »),
- en fin de grossesse (après 8 mois période de l’attente de l’accouchement)
- puis après la naissance de l’enfant la relation parentale étant alors confrontée à la réalité de la présence de l’enfant (enfant réel/enfant imaginaire),Nous réaliserons des entretiens
- dans les semaines qui suivent la naissance (avant 1 mois) pour comprendre la mise en place des relations,
- enfin après une vingtaine de mois pour connaître l’état relationnel familial au moment où l’enfant commence à acquérir son autonomie.
2. Le second axe, dit synchronique,
nous amènera à comparer les éléments caractéristiques relevés lors de chacun de ces temps dans une sphère culturelle et socio-économique donnée avec ceux relevés dans les autres. Ce second axe permet d’approcher la dimension collective partie prenante de la construction de l’être parent. Il s’agira ainsi de comparer des élaborations de femmes et d’hommes des différents pays et des différents milieux sociaux-économiques rencontrés dans le cadre de cette recherche.Etablissements des critères comparatifs :
Comparaisons internes à chaque pays :Pour chaque pays (Italie, Canada, Brésil, Argentine, Russie, Chine et France) nous analyserons les différences entre des discours de femmes enceintes (ou de couples) issu(e)s des divers milieux socioculturels, sachant que si la culture homogénéise les rapports familiaux, l’appartenance sociale différencie les rôles et fonctions dans les relations parents-enfants. Leur recrutement se fera dans les consultations externes des polycliniques ou des services de gynécologie-obstétricale urbains, d’autres en milieu rural et d’autres encore dans des services situés dans des banlieues pauvres).Comparaisons entre les pays :
- entre des discours de femmes et d’hommes issus de milieux socio-économiques comparables mais vivant dans un autre pays européen (l’Italie) où nous pensons que les représentations des rôles familiaux et de la famille qui nous intéressent étaient traditionnellement plus marquées qu’en France mais qui évoluent sensiblement de la même façon que dans notre pays,
- entre des discours de femmes et d’hommes issus de milieux socio-économiques comparables mais vivant au Canada, en Italie, en Russie, en Argentine, en Chine et au Brésil. Soit des pays qui, pour être modernes, n’en appartiennent pas moins à des continents différents et à des sphères culturelles également très différentes.
Le recueil des données se fera par entretiens de recherche semi-directifs auprès des populations ciblées dans le respect total de l’anonymat. Ces entretiens seront enregistrés et intégralement retranscrits pour permettre ensuite leur étude approfondie. L’analyse des données se fera par le repérage et l’étude minutieuse des éléments du discours (énoncé et énonciation) trace de la manière dont psychiquement pour chacune des mères, est saisie et s’élabore la thématique abordée. Une étude lexicale de récurrence pourra, si elle s’avère nécessaire, être réalisée avec le logiciel Sphinx.
Nous achèverons le travail par une mise en perspective de ce que révéleront les analyses de ces attentes et les offres préventives existantes. On s’arrêtera plus particulièrement sur celles que privilégient les directives actuelles et qui veulent préparer ou éduquer à la parentalité, concept assez vague qui à côté d’un usage descriptif de ce que peut être la « condition parentale » (Plantet, 2004), se révèle également d’un usage prescriptif amenant à penser l’ « être parent » non plus comme conséquence du lien parental à l’enfant mais comme une « compétence », une « aptitude » dont l’accession exige certaines conditions. Nous tenterons de voir en quoi ce type de préparation peut être en adéquation avec les attentes pointées et ce qui dans ce concept relève d’une construction sociale et anthropologique contingente induisant celles-ci. (Marciano (dir.), 2004 ; Parazelli et al, 2003)
ECHANTILLON D’ETUDE
Dans chacun des pays retenu, si possible, 3 groupes de 10 à 15 femmes enceintes au cours du premier trimestre de grossesse, choisies au hasard parmi les personnes venues consulter dans les services retenus et ayant accepté de participer à cette recherche. Un groupe constitué de femmes vivant en milieu urbain, un en milieu rural et un troisième dan une banlieue pauvre. Les hommes pourront également être interviewés. Nous aurons ainsi au total échantillonnage de 30 à 45 femmes (+ des hommes) par pays. Ces personnes seront revues à chacune des étapes décrites précédemment. Soit 225 entretiens.Afin de vérifier statistiquement la significativité des différences sociales, économiques et culturelles mises en évidence par cette recherche, cette étude pourra être complétée par une enquête quantitative par questionnaires auto instruits par un échantillon de femmes (ou de couples) beaucoup plus important. Cette enquête, de forme plus épidémiologique, sera construite à partir des réponses obtenues lors de la phase qualitative pour laquelle est actuellement demandé le financement. (Cette enquête complémentaire fera l’objet d’une autre demande de financement car elle nécessitera un travail statistique important nécessitant matériel et personnel.)
MODALITES PRATIQUES
Durée : 3 ans :Durée : 3 ans : Calendrier prévisionnel :